Nobel de Physique
mercredi 5 octobre 2011
L’«énergie sombre» mise en lumière
Contre toute attente, l’expansion de l’Univers accélère,
au lieu de ralentir, ont montré les trois lauréats, l’Australien Brian
Schmidt et les deux Américains Adam Riess et Saul Perlmutter. En 1998,
leur découverte, qui plonge ses racines dans la théorie d’Einstein, a
bouleversé la cosmologie.
Leur objet d’étude: des
supernovae de type Ia. Ces astres
ont pour intérêt d’avoir une luminosité identique. Les astrophysiciens
utilisent ces étoiles pour déterminer la distance qui les séparent de la
Terre, en tirant partie de la propriété que leur vitesse d’éloignement
influence la lumière qu’ils observent d’elles dans les télescopes. Or il
y a treize ans, les deux groupes mettent en évidence que les supernovae
les plus lointaines sont plus éloignées qu’attendu selon leurs
prévisions. Autrement dit, le cosmos continuait à se dilater de plus en
plus vite, alors qu’ils s’attendaient à ce que cette expansion s’arrête
petit à petit. «Nous avons cherché où l’on s’était trompé», commentait
hier Brian Schmidt. Las. Lui et ses collègues n’étaient pas les premiers
à réagir de la sorte…
En 1916 déjà, Einstein ambitionne, selon ses convictions, d’établir un
modèle statique de l’Univers. Or la force de gravité en induisait une
vision dynamique, les corps célestes s’attirant entre eux. Pour figer la
situation, le savant introduit dans ses équations un élément
compensatoire de type antigravitationnel qu’il nomme «constante
cosmologique». Mais dans les années 1920, l’astronome Edwin Hubble
découvre que les galaxies s’éloignent les unes des autres. Donc que
l’Univers est bel et bien en expansion. En 1931, Einstein annule sa
constante, évoquant la «plus grande erreur de sa vie»! Jusqu’en 1998,
diverses avancées ont ensuite pavé la voie aux travaux des trois
nouveaux nobélisés.
L’«énergie sombre» mise en lumière
Conséquence de leur découverte: l’affinement des modèles, et leur
recoupement avec des phénomènes gravitationnels au sein des galaxies, a
conduit les astrophysiciens à postuler que l’Univers est composé de 4%
de matière visible, de 21% de «matière sombre», méconnue, et de 75% de
cette «énergie sombre», responsable de la dilatation précipitée du
cosmos. «Si l’existence de cette entité a d’abord laissé nombre d’entre
nous sceptiques, il est désormais incongru de ne pas l’admettre, avise
Daniel Pfenniger, de l’Observatoire de Genève. Diverses expériences
l’ont depuis confirmée.»
Comment l’inclure dans les descriptions mathématiques de la cosmologie?
C’est là que réapparaît Einstein. D’aucuns avancent que sa fameuse
constante pourrait justement décrire l’effet de cette énergie sombre, et
qu’elle aurait même varié au fil du temps (voir infographie); à
l’époque, le si brillant physicien n’aurait simplement pas saisi toute
la profondeur de la portée de son idée.
Bien. Mais de quoi est composée cette intangible entité? De vide,
avancent d’autres: le vide est parfois le théâtre du surgissement
spontané de paires de particules et d’antiparticules, qui disparaissent
en s’annihilant. Le vide posséderait donc une densité d’énergie,
assimilée à cette énergie sombre. Densité que les physiciens des
particules ont même calculée. Or les cosmologistes ont besoin, eux, pour
décrire l’accélération de l’Univers, d’une constante d’un ordre de
grandeur… 120 fois plus grand. Malaise… Autre hypothèse: l’Univers,
souvent considéré comme homogène, ne le serait de loin pas. Et s’il se
dilatait de manière inégale? «L’idée est sensée, mais les données
récentes ne suffisent pas à l’étayer», dit Daniel Pfenniger, pour qui le
flou s’avère total. «L’énergie sombre est la plus grande énigme de la
physique actuelle», abonde le comité Nobel.
Afin d’y voir plus clair, plusieurs missions satellitaires sont sur les
rampes de lancement, dont
WFIRST de la NASA, ou
PLANK , qu’a
choisie hier soir l’Agence spatiale européenne (ESA) dans le cadre de
ses «Cosmic Visions 2015-2025» et dont l’EPFL et l’Université de Genève
aideront à traiter les résultats. «Ces missions permettront d’acquérir
des données plus précises, qu’on confrontera aux modèles. Et
l’attribution du Nobel n’est peut-être pas innocente dans la sélection
de la seconde…», avance Daniel Pfenniger. Qui se réjouit pour une autre
raison: «De point de vue philosophique, la validation de l’expansion
accélérée de l’Univers change notre perspective du futur, certains
prédisant un Big Crunch», soit un effondrement de l’Univers sur
lui-même. «Moi qui étudie l’évolution des galaxies, je vais pouvoir
désormais le faire sur 100 milliards d’années. Au lieu de 10…»
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